RDC : Un décret provincial pourrait légitimer la violence à l'encontre des populations autochtones Batwa
Nous écrivons ce jour pour exprimer notre profonde inquiétude concernant le décret provincial publié le 13 novembre 2024, par les autorités provinciales du Sud-Kivu. Ce décret, tout en s'attaquant à d'importantes menaces environnementales, risque d’avoir aussi pour conséquence une résurgence des violences à l'encontre des peuples autochtones Batwa dans et autour du parc national du Kahuzi-Biega (PNKB), en République démocratique du Congo.
Nous craignons que l'interdiction indiscriminée de tous les individus, y compris donc des peuples autochtones Batwa, ne soit utilisée pour légitimer la violence contre eux à l'intérieur et autour du PNKB.
Le décret provincial n°24/279/GP/SK ordonne la protection et l'interdiction de l'occupation, de l'invasion, de l'exploitation, de la commercialisation et du transport des ressources forestières et minières du PNKB. Alors que le décret mentionne à juste titre la présence de groupes armés dans le PNKB comme posant de sérieuses menaces environnementales en raison de leur engagement dans l'extraction illicite de ressources, le ciblage injustifié des communautés locales par le décret peut avoir des implications potentiellement graves pour les communautés Batwa.
Nous avons été informés que les autorités provinciales, les autorités du PNKB et l'armée nationale ont été mobilisées pour l'exécution du décret le 18 novembre 2024, ce qui fait craindre que les Batwa soient à nouveau l’objet de répressions, de violences et d’expulsions.1
Il convient de noter que la récente décision de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP) de juillet 2024 a reconnu le droit des Batwa à leurs territoires ancestraux dans le Kahuzi-Biega. Le décret provincial en revanche ne tient pas compte de cette décision, ni de la loi de 2022 sur la protection et la promotion des droits des peuples autochtones pygmées (loi n° 22/030), ni d’ailleurs des normes internationales en matière de droits de l'homme qui protègent les peuples autochtones. La CADHP a en effet déclaré que la forêt de Kahuzi-Biega était la terre ancestrale des Batwa et a demandé à la RDC d'adopter rapidement des mesures en consultation avec les Batwa pour les réintégrer dans leur territoire ancestral. En particulier, elle demande à la RDC d'" annuler toutes les lois, ordonnances ou autres mesures qui interdisent la présence des Batwa sur leurs terres ancestrales et leur utilisation et jouissance traditionnelles". 2
La décision reconnaît en outre que l'occupation par les Batwa de la forêt de Kahuzi-Biega n'est pas la cause de la perte de biodiversité, et que la "conservation forteresse" - un modèle de conservation basé sur la création d'aires protégées strictes qui excluent tout être humain
- n'a pas permis d'atteindre les objectifs environnementaux dans le PNKB. La décision de la CADHP3 précise que "les mesures visant à exclure les Batwa de leurs terres" - pour lesquelles, il faut le noter, le décret provincial peut être utilisé - "peuvent être préjudiciables à l'environnement étant donné le bilan historique positif de la conservation de la forêt de Kahuzi-Biega par les Batwa". 4
Bien que nous soutenions le sentiment d'urgence des autorités locales concernant la nécessité de mettre fin à l'extraction des ressources dans le PNKB, nous souhaitons souligner la nécessité de s'attaquer aux causes profondes de la destruction de l'environnement dans le Kahuzi-Biega et de cibler ses principaux acteurs puissants plutôt que les communautés batwa. La chaîne d'extraction des ressources du PNKB est constituée de réseaux extractivistes étendus impliquant des groupes armés, des entrepreneurs et d'autres acteurs puissants.5 Le meurtre de M. Gloire Willy Maroba et les blessures infligées à trois autres Batwa le 11 mai 2024 par un membre de la milice Wazalendo est l'un des cas récents qui illustrent la vulnérabilité des membres batwa et leur souci de la protection de l'environnement face à ces acteurs. Il semblerait que M. Maroba ait été pris pour cible en raison de son travail en tant que leader batwa s'exprimant activement au nom de sa communauté. On pense que cet incident était une réponse aux tentatives des Batwa d'empêcher le Wazalendo de traverser leurs villages avec des ressources extraites de la forêt.6
Ce qu'il faut, c'est un processus participatif qui réponde aux recommandations de la CADHP pour soutenir le retour des Batwa sur leurs terres ancestrales d'une manière qui leur permette de devenir des partenaires dans la conservation de leurs terres, y compris en permettant la protection de leurs droits conformément au droit international et national.
Faute de quoi, les Batwa du Kahuzi-Biega continuent de vivre dans des conditions précaires et insécures.
À la lumière de ce qui précède, nous demandons instamment au gouvernement du Sud-Kivu d'adopter une approche plus inclusive et participative pour relever les défis environnementaux et sécuritaires dans le PNKB. Nous demandons la suspension immédiate des actions menées en vertu du décret provincial n°24/279/GP/SK, qui va à l'encontre de la décision de la Commission africaine et cible les communautés batwa de façon indiscriminée. Une stratégie de collaboration doit donner la priorité au démantèlement des réseaux d'exploitation des ressources et impliquer les Batwa dans la prise de décision afin de développer des solutions durables. Les organismes internationaux et les organisations de la société civile doivent également intervenir pour surveiller la situation et protéger les droits fondamentaux des Batwa.
Signé :
-
Flummerfelt, Robert. "Purger la forêt par la force : Organized Violence against Batwa in Kahuzi-Biega National Park". Minority Rights Group, 5 avril 2022. https://minorityrights.org/resources/to-purge-the-forest-by-force-organized-violence-against-batwa-in-kahuzi-biega-national-park/
Luoma, Colin. "Fortress Conservation and International Accountability for Human Rights Violations against Batwa in Kahuzi-Biega National Park ". Minority Rights Group, 5 mai 2022. https://minorityrights.org/resources/fortress-conservation-and-international-accountability-for-human-rights-violations-against-batwa-in-kahuzi-biega-national-park/ - Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), Communication 588/15 - Minority Rights Group & Environnement, Ressources Naturelles et Développement (au nom des Batwa du parc national de Kahuzi- Biega)
- Forest Peoples Programme (FPP). "La Commission africaine établit un précédent significatif pour les droits fonciers des peuples autochtones dans le contexte de la conservation", 5 août 2024. https://www.forestpeoples.org/en/08-2024/joint-statement-african-commission-decision-kahuzi-biega
- Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), Communication 588/15 - Minority Rights Group & Environnement, Ressources Naturelles et Développement (au nom des Batwa du parc national de Kahuzi- Biega)
- Oakland Institute. "From Abuse to Power : Ending Fortress Conservation in the Democratic Republic of Congo, 27 août 2024. https://www.oaklandinstitute.org/abuse-power-ending-fortress-conservation-democratic-republic-congo.
- Forest Peoples Programme. "Batwa Man Killed in Escalating Violence against Indigenous Community in Kahuzi-Biega National Park, DRC, 28 mai 2024. https://www.forestpeoples.org/en/2024/article/batwa-man-killed-escalating-violence-kahuzi-biega-drc.