Skip to main content Skip to footer
Mali

Des jeunes militants en lutte pour arrêter un projet dévastateur d'extraction d'or sur la rivière Falémé au Mali

Entretien avec Abdoulaye M. Sissoko, Président de l’Association de jeunes pour le développement du village de saboucire (AJDVS), dans le village de Saboucire, commune de Sadiola, région de Kayes au Mali 6 janvier 2023.

Introduction à la rivière Faleme

Bonjour Abdoulaye, peux-tu décrire en quelques mots la région ou est basée ton association ?

Abdoulaye : C'est une région rurale à l’ouest du Mali, qui compte 47 villages et 51 hameaux. Les gens y vivent essentiellement de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche. Elle est traversée par la rivière Falémé, un affluent majeur du fleuve Sénégal, qui est une ressource essentielle pour la population de la région. La Falémé fait frontière entre le Mali et le Sénégal, elle prend sa source dans les contreforts du massif du Fouta-Djalon (Guinée), et se jette dans le fleuve Sénégal au nord-ouest de Kayes, après un parcours long de 650 km. Depuis trop d’années, la vaste plaine de la Falémé est menacée par les activités extractives qui mettent en danger ses populations et ses villages.

Ton association lutte contre les ravages de l’exploitation aurifère par une société chinoise dans la région. Peux-tu nous raconter l'historique de cette entreprise ?

Abdoulaye : La société DPSTE Huayi est arrivée en janvier 2021 dans la région après avoir été expulsée du Ghana par le gouvernement. Elle travaille avec une filiale appelée Feng Yi SARL pour exploiter l’or par draguage dans la rivière Falémé. Elle utilise des machines pour draguer la rivière et également les terres en bordure de la rivière pour le traitement des extractions et le dépôt des déchets. Le personnel de supervision est chinois alors que les chauffeurs et operateurs des engins sont des Ghanéens que l’entreprise a fait venir après son expulsion du pays.

Machinery used for gold extraction by dredging in the Falémé river

Machines utilisées pour l’extraction de l'or par dragage dans la Falémé

Falémé - Impacts de l'exploitation

Quel est l’impact de cette exploitation ?

Abdoulaye : L’impact est dévastateur. La moitié de la forêt du village a été détruite alors qu’elle fournit de nombreuses ressources à notre population, notamment des pâturages. Nos cimetières, des sites archéologiques et nos sites sacrés ont été détruits par les bulldozers. La rivière a été polluée, la pêche est devenue quasiment impossible car les poissons ont disparu. Plusieurs villages ont rapporté que des dizaines de vaches et moutons sont morts après avoir bu l’eau de la rivière. On constate de nombreux problèmes de santé liées à la pollution de l’eau, notamment des naissances prématurées, des maladies respiratoires et autres. Le gouvernement ne fait pas de contrôle de la qualité de l’eau mais la population est très inquiète que c’est la pollution par l’exploitation aurifère qui est à l’origine de ces problèmes. Les gens ont peur de consommer le peu de poisson qu’ils peuvent attraper car on pense qu’ils sont contaminés.

La moitié de la forêt du village a été détruite alors qu’elle fournit de nombreuses ressources à notre population, notamment des pâturages. Nos cimetières, des sites archéologiques et nos sites sacrés ont été détruits par les bulldozers.

Mais le pire, c’est les assassinats des jeunes femmes par les gardes de sécurité de l’entreprise. Les femmes se regroupent pour aller faire l’orpaillage traditionnel avec la calebasse, ce qui leur permet de completer leurs revenus. Mais nous avons plusieurs cas de jeunes filles assassinées sur place par les gardes alors qu’elles cherchaient de l’or dans des sites abandonnés par l’entreprise. Par exemple, une adolescente de 15 ans du village de Sitadiya a été abattue le 26 novembre 2021. Le même mois, Fanta Foune DANSOGO, mère de trois enfants, a été tuée d’une balle dans la tête. Ces assassinats demeurent impunis.

Comment est-ce que cette entreprise a été autorisée à s'installer là ? Est-ce que les communautés locales ont donné leur accord ?

Abdoulaye : Quand l’entreprise est arrivée, elle a signé une convention avec la mairie le 7 janvier 2021 les autorisant à travailler sur une longueur de 15 kilomètres. On sait qu’elle a versé de l’argent au maire mais cela n’a pas été divulgue officiellement. Des témoins parlent de 40 millions CFA. Ensuite le maire a organisé des assemblées avec les chefs de village pour les informer des opérations de l’entreprise mais pas pour qu’ils donnent leur consentement. Dans ces assemblées, ils ont promis le développement de la région, des infrastructures routières et sanitaires mais rien n’a été fait à ce niveau.

Bulldozers en action (vidéo)

Ensuite, dans l’année 2021, alors que l’on constatait les ravages causés par la société, les jeunes réunis dans notre association ont commencé à se mobiliser. En juillet et août 2021, nous avons écrit des lettres au maire, au préfet, même au ministre de l’environnement pour demander l’arrêt de l’exploitation. Le chef du village a également écrit au préfet pour l’alerter sur cette dévastation et demander l’arrêt des activités de l’entreprise.

Quels ont été les résultats de ces démarches ?

Abdoulaye : Aucun résultat. Toutes ces démarches ont été vaines et aucune autorité n’a réagi pendant toute cette période. Pour faire bonne figure face aux protestations de la population, le maire de Sadiola a pris plusieurs arrêtés interdisant les activités de l'entreprise à partir de septembre 2021, mais celle-ci a néanmoins poursuivi l’exploitation comme si de rien n'était. En décembre 2021, nous avons eu une assemblée au village et avons manifesté devant la mairie pour demander l’arrêt de l’exploitation. Mais toujours sans aucune réaction de la part des autorités. Et les dévastations de la société chinoise ont continué sans relâche. Alors le 19 juillet 2022, avec l’accord du chef du village, les jeunes ont organisé une manifestation a la base de la société. Nous leur avons donné sept jours pour arrêter leurs activités et plier bagage. Les sept jours étant écoulés, nous sommes retournés sur place et avons constaté que l’entreprise continuait à opérer comme si de rien n’était. Alors nous les avons à nouveau sommés de s’arrêter.

Fanta Foune Dansogo

Fanta Foune Dansogo, mère de trois enfants, a été tuée d’une balle dans la tête par les gardes de sécurité de la société minière

Falémé - Résultat de la mobilisation

Quel a été l’impact de cette nouvelle mobilisation ?

Abdoulaye : Trois jours après, le chef du village a reçu une lettre du parquet convoquant 10 manifestants au tribunal de Kaye. Sept de ces jeunes se sont présentés au tribunal le samedi 30 juillet 2022. Ils ont été interrogés sur la manifestation et accusés d’avoir mené une action violente, alors que la manifestation avait été totalement pacifique. La gendarmerie a placé ces sept personnes en garde à vue sur ordre du tribunal. En tant que Président de notre association et meneur de la mobilisation, j’étais parmi les personnes convoquées mais je n’ai pas pu me rendre au tribunal car j’étais alors à Bamako. Le 1er aout, quatre personnes ont été libérées. Trois ont été placées sous mandat de dépôt et sont restées en prison. Elles ont été inculpées de trouble à l’ordre publique, incendie volontaire, et dommage à la propriété mobilière d’autrui. Mais tout cela est faux, il s’agissait vraiment d’intimidation de la jeunesse.

Quelles étaient les conditions d’incarcération ?

Abdoulaye : La prison de Kayes est surpeuplée, avec beaucoup de monde dans la prison. Ces jeunes n’avaient jamais été en prison avant et ont eu très peur. Avec les mauvaises conditions d’hygiène et la mauvaise nourriture, plusieurs sont tombés malade. Heureusement, grâce au soutien de l’Oakland Institute et du fonds d’aide aux OSC Lifeline, nous avons pu acheter de la nourriture et des médicaments pour mes camarades. Cela nous a également permis d’embaucher un avocat qui a pris en charge la défense des personnes poursuivies. Ce soutien et la présence de l’avocat à nos côtés nous a aidé dans la procédure mais aussi nous a encouragé dans notre lutte dans laquelle nous n’étions plus seuls. Votre assistance a réduit la menace et la jeunesse a été encouragée.

Après un mois de prison, les trois camarades arrêtés ont été libérés le 1er septembre, grâce au travail de l’avocat et des démarches du chef de village pour demander leur libération. Mais nous restons sous contrôle judiciaire, devant pointer chaque semaine à la gendarmerie.

Suite à notre mobilisation, le gouvernement a commencé à s’intéresser à la question, qui est passée en conseil des ministres, avec la volonté affichée de stopper les activités minières illégales et destructives comme celles-ci.

Y a-t-il eu des développements plus récents ?

Abdoulaye : Oui. Suite à notre mobilisation, le gouvernement a commencé à s’intéresser à la question, qui est passée en conseil des ministres, avec la volonté affichée de stopper les activités minières illégales et destructives comme celles-ci. Mi-décembre 2022 nous nous sommes réjouis que plusieurs responsables chinois de la société aient été arrêtés par la gendarmerie et placés à leur tour en détention alors que les conducteurs des engins se sont enfuis en brousse. Malheureusement, notre joie a été de courte durée car les Chinois ont simplement payé une amende et ont pu reprendre leurs activités.

Mais que fait le gouvernement pour faire respecter ses décisions ?

Abdoulaye : L’Etat a récemment envoyé un vérificateur général pour enquêter sur place. A la suite de ça, ce sont plusieurs adjoints du maire qui ont été inquiétés, le 2eme adjoint a même été arrêté fin décembre. Nous savons aussi que plusieurs ministères s’intéressent maintenant à notre problème. C’est la situation à ce jour et nous ne savons pas quoi faire de plus. Ces gens des autorités locales doivent aller en prison. On espère que la vérité vaincra.

As-tu quelque chose à ajouter pour conclure ?

Abdoulaye : Comme bien d’autres jeunes de par le monde, nous sommes mobilisés pour faire cesser un scandale écologique majeur : pour que nos terres ancestrales cessent une fois pour toutes d’être bouleversées, dévastées de fond en comble par les entreprises d’extraction minière, occidentales et chinoises, prêtes à tout pour assouvir leur soif de profits à court terme, leurs appétits insatiables de l’or et d’autres matières premières précieuses, au grand dam de nos vies présentes et à venir. Pour conclure, je vous remercie pour votre soutien crucial et appelle à nouveau les autorités maliennes à stopper cette société. Nous resterons mobilisés jusqu’à l’arrêt définitif de ces opérations. Nos forêts et notre rivière sont dévastées, nous appelons la communauté nationale et internationale à nous appuyer dans cette lutte vitale. Les organisations de défense de l’environnement et des droits humains doivent nous venir en aide afin que nos cours d’eaux soient dépollués et que nous soyons dédommager pour tous les préjudices causés à notre environnement et nos droits humains.

Also available in English