Liberté de la Presse : le Groupe Bolloré Peut-il Museler les Journalistes ?
Pascal Hérard
Le procès des journalistes de Bastamag et Rue89 s'est ouvert jeudi. Ils sont attaqués en justice par le groupe industriel Bolloré pour diffamation. Un article sur l'accaparement des terres en Afrique et en Asie est en cause.
Le procès qu'intente ces jours-ci le groupe Bolloré à l'encontre des sites d'information Bastamag, Rue89, ainsi que plusieurs blogs, inquiète les défenseurs de la liberté de la presse, et au delà, pose la question des limites au droit d'informer et une autre, plus ancienne, datant de 2009, avait vu la victoire du groupe Bolloré sur un sujet très similaire.
Un reportage, puis un article choquent Vincent Bolloré
Le groupe Bolloré porte plainte en 2009 contre France Inter et l'un de ses journalistes, Benoit Collombat. Le reportage, diffusé dans l'émission "Interception" est intitulé « Cameroun : l’empire noir de Vincent Bolloré ». Il décrit les conditions de travail jugées désastreuses des dockers africains du port de Douala, ainsi que celles des ouvriers agricoles de diverses plantations. Ces structures sont toutes gérées par le groupe Bolloré. La multinationale gagne son procès en 2010 et publie sur son site le jugement.
Celui-ci relève notamment :
(…) Le tribunal a relevé le manque de sérieux de l’enquête et le manque de prudence dans l’expression de l’émission de France Inter et a estimé que Benoît Collombat n’avait pas vérifié les propos mensongers tenus par les personnes interviewées. Le tribunal a jugé comme diffamatoires les allégations suivantes :
- ne pas avoir respecté les engagements financiers pris par Camrail lors de l’obtention de la concession en 1999, en particulier le versement à 603 employés d’une indemnité totale de 26 milliards [de francs CFA], laquelle resterait due,
- négliger gravement les investissements dans le domaine du transport des passagers,
- utiliser abusivement le personnel du port autonome [de Douala] dans le cadre de la concession de dragage,
- ne pas offrir de couverture sociale aux salariés du port autonome de Douala et manquer aux exigences de la médecine préventive et du travail,
- recourir à des tentatives d’intimidation à l’encontre des salariés du port autonome de Douala en cas de revendication, et ne pas respecter le droit du travail,
- ne pas assurer la sécurité minimale des salariés de la palmeraie exploitée par la Socapalm et les loger dans des conditions indignes.
Le tribunal a considéré que France Inter avait été incapable d’apporter la preuve de ce qu’il avait affirmé. (…)
En 2012, un article sur le site d'information bastamag.net de la journaliste Nadia Djabali déclenche une nouvelle plainte du groupe industriel. Cette fois-ci, le sujet est l'accaparement des terres agricoles en Afrique et en Asie par les multinationales, dont celle de Vincent Bolloré. L'article s'intitule : «Bolloré, Crédit agricole, Louis Dreyfus : ces groupes français, champions de l’accaparement de terres».
Du droit d'informer… au secret des affaires ?
L'article de Bastamag, se base sur des rapports d'ONG, dont le Think tank américain Oakland Institute. Il fournit les chiffres des rachats de terre en Afrique par le groupe Bolloré, leurs conséquences sur les populations, ainsi qu'un rapport de la Mission des Nations Unies au Libéria (Minul) décrivant les conditions catastrophiques des droits humains sur une plantation en Sierra Léone possession de Socfin (Socfinaf), une filiale luxembourgeoise du groupe Bolloré. Un rapport de la FIDH (Fédération internationale des droits de l'homme) est cité, pour des achats de terres en Asie toujours par Socfin (Socfinasia), terres normalement protégées.