Les fonds d’investissement participent à la ruée vers l’Afrique
Orignially published by LeMonde
Vendredi 10 juin 2011
Laetitia Van Eeckhout
SUR LA SEULE ANNÉE 2009, 60millions d’hectares de terres agricoles, soit l’équivalent de la superficie de la France, ont été achetés ou loués par des investisseurs étrangers dans les pays en développement.
Les acquisitions de terres arables s’accélèrent: loin de répondre aux exigences d’«investissements responsables» et aux enjeux de sécurité alimentaire, elles conduisent au déplacement decommunautés entières de petits paysans, à leur appauvrissement, s’alarme le cercle de réflexion américain Oakland Institute qui a rendu publique, mercredi 8juin, une première série de travaux d’un vaste projet d’analyse des investissements réalisés enAfrique. Ceux-ci confirment l’accroissement des investissements à grande échelle sur ce continent. Au Mali, entre2009 et 2010, la surface des terres passée sous contrôle étranger s’est accru des deux tiers, atteignant 550000hectares. En Ethiopie, 3,5millions d’hectares ont été cédés depuis 2008.
Les Chinois et les Indiens sont loin d’être les seuls à s’intéresser aux terres africaines.Nombre de sociétés et fonds d’investissement occidentaux les convoitent aussi. Etmêmedes universités – Oakland Institute démontre ainsi que l’américaine Harvard tire une partie substantielle de ses revenus de placements financiers dans des fonds d’investissement sur les terres arables. «Tout cela se fait dans le plus grand secret, souligne Frédéric Mousseau qui a coordonné cette étude, car ce genre de placement n’est pas très populaire.»
Manque de transparence
Oakland Institute souligne aussi le criant manque de transparence entourant tous ces investissements. «Beaucoup de communautés sont tenues à l’écart des négociations et se voient délogées sous la menace, voire par la force. Au mieux, on leur fait miroiter de meilleures conditions de vie et un développement de leur environnement. Mais très vite, le désenchantement est grand», relève M.Mousseau.
Les droits sur les terres, concédés pour 20 à99 ans, sont offerts aux investisseurs gracieusement – c’est le cas au Mali – ou à très bas prix. En Sierra Leone, ils ne s’élèvent pas à plus de 2dollars par hectare et par an. Atitre de comparaison, au Brésil ou en Argentine, ils sont de 5000à 6000dollars (jusqu’à 4200euros) par hectare. Et les investisseurs bénéficient d’importants avantages fiscaux: exonération de taxes, rapatriement sans condition des bénéfices commedes produits agricoles.
Les terres, qui constituaient le moyen de subsistance des populations locales, sont cédées pour faire place à de grandes plantations destinées à l’exportation, notamment à celle d’agrocarburants.
Les contreparties à ces avantages en termes d’emplois ne sont qu’un leurre, affirme l’étude. Au Mali, les 100000 hectares récemment acquis par des investisseurs pourraient faire vivre quelque 112000 petits paysans et leur famille, soit au total plus de 1million de personnes. Mais cette terre est désormais entre les mains de 22 investisseurs et créera au mieux mille emplois.