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Les Cessions de Terres Fragilisent les Paysans

Friday, July 29, 2011

Originally published by Le Monde

Laetitia Van Eeckhout

 

Des Chèvres et des moutons fraîchement abattus suspendus aux arbres: dans les villages du nord du Kenya et du sud de l’Ethiopie,  de telles scènes, loin d’être annonciatrices d’événements festifs, se multiplient, révélant la détresse de familles préférant tuer leur bétail plutôt que de le laisser mourir. Les premières victimes de la crise alimentaire dans la Corne de l’Afrique sont les populations agro-pastorales qui, ces dernières années, ont été reléguées dans des zones les plus arides et désertiques, écartées de leur territoire traditionnel de vie pour faire place à de grandes fermes agricoles.

Ces investissements conduisent au déplacement de communautés entières de petits paysans et à leur appauvrissement, s’alarmait, en juin, Oakland Institute, un think-tank californien qui mène actuellement un audit des investissements en Afrique. Depuis 2008, le gouvernement Ethiopien s’est engagé dans une politique de cession massive de terres, afin, selon lui, de tirer le pays de la pauvreté et de contribuer à sa sécurité alimentaire sur le long terme.

 

En trois ans et demi, 3,6 millions d’hectares ont été cédés. Mais loin de contribuer à améliorer la sécurité alimentaire du pays, ces investissements ne font au contraire qu’aggraver son insécurité en la matière, estime Oakland Institute. En quelques années, Saudi Star Agricultural Development, l’une des sociétés agro alimentaires du milliardaire saoudien Mohammed Al-Amoudi, est devenue le premier investisseur agricole de l’Éthiopie. En2008, l’homme a acquis, pour un loyer annuel de 1,20 euro l’hectare(ha), 10000 ha le long de la rivière Alwero dans la province de Gambella, à l’ouest du pays. Le milliardaire envisagerait d’acheter 500000 autres hectares afin de produire un million de tonnes de riz, mais aussi du maïs, de la canne à sucre et des oléagineux pour le marché saoudien. Seul le riz qui ne répond pas à la qualité requise pour l’exportation (grain de moins de 7mm) sera vendu sur le marché intérieur.

 

La partie forestière du territoire déjà acquis qui permettait jusqu’alors à la population locale de se procurer nourriture, bois et médicaments en période difficile, a été détruite. Plusieurs petits villages ont été déplacés pour être regroupés en un seul, de l’autre côté de la rivière.

 

«La création d’emplois est une des principales retombées attendues de ces investissements à grande échelle. Mais, relève Frédéric Mousseau qui coordonne les travaux d’Oakland Institute, il s’agit essentiellement d’emplois saisonniers et de courte durée. Et, souvent, on fait venir la main d’œuvre d’autres territoires.»

 

Au nord-est de l’Ethiopie, dans la région Afar, territoire partiellement désertique, traversé par plusieurs rivières, de grandes plantations de coton ont été développées. La main-d’œuvre vient exclusivement des hauts plateaux alentour. Déplacées, les populations afares doivent désormais faire vivre leur bétail sur des terres arides. «On observe le même développement de grandes fermes au Kenya, dans le nord de l’Ouganda ou encore le Soudan du Sud», poursuit M.Mousseau. Dans ce pays qui vient juste d’accéder à l’indépendance, les investisseurs ont jusqu’alors profité de l’absence d’une politique d’encadrement des terres.

 

En mars 2008, la société  texane Nile Trading and Development Inc y a décroché un bail de quarante-neufanspour600000ha pourl’équivalentde25000dollars (17400euros).Bail l’autorisant à exploiter toutes les ressources naturelles de la terre louée, y compris souterraines. Face à la sécheresse, des ONG tentent d’améliorer la résilience des populations agro-pastorales, via notamment la réhabilitation ou la création de points d’eau et la vaccination du bétail. Des mesures qui, pour être efficaces, gagneraient à s’inscrire dans une politique durable d’accompagnement des populations. Pour les ONG comme pour Oakland Institute, le manque criant d’investissements structurels dans l’agriculture vivrière ne fait qu’aggraver l’impact de la sécheresse actuelle.