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En Tanzanie, les Masaïs expulsés pour le tourisme et la chasse

March 29, 2023
Source
Le Monde diplomatique

Un reportage de Cédric Gouverneur

En 1968, les Beatles moquaient « Bungalow Bill », un Occidental féru de méditation et de chasse au tigre en Inde. Ses héritiers viennent aujourd’hui des Émirats arabes unis. Ils traquent le gros gibier dans les vallées et prairies d’Afrique de l’Est. Au détriment des tribus locales, forcées de déguerpir par des autorités aux petits soins avec ces prédateurs fortunés.

rapés dans le traditionnel shuka rouge, bâton de berger à la main, Abel et ses proches nous reçoivent dans leur boma, hameau masaï constitué de cases rondes et d’un corral cerclé d’épineux et d’orties, afin de protéger le cheptel des lions. Mais, de nos jours, les fauves s’en prennent surtout aux herbivores peuplant la savane. Et les Masaïs de Loliondo, au nord de la Tanzanie, redoutent moins les prédateurs que les autorités : « Ne photographiez pas nos visages, implore notre hôte. Ni rien qui ferait reconnaître cet endroit. » Abel peut se montrer prudent : lui et une vingtaine d’autres Masaïs viennent de passer cinq mois à la prison d’Arusha. « On était soixante-dix détenus entassés dans une cellule prévue pour vingt-cinq. Ils s’en sont pris aux gens influents, aux chefs traditionnels, à ceux qui ont fait des études ou sont en contact avec des associations occidentales » qui défendent les droits des peuples indigènes, comme Survival International (Royaume-Uni) ou l’Oakland Institute (États-Unis). « Ils cherchent à nous empêcher de nous organiser contre OBC », en déduit-il.

OBC, pour Otterlo Business Corporation, est une société de chasse émiratie. Le 6 juin 2022, la région d’Arusha a annoncé son projet de dépeupler une parcelle de 1 500 kilomètres carrés dans le secteur de Loliondo (au nord de la réserve naturelle du Ngorongoro et à l’est de celle du Serengeti), afin d’en attribuer l’usage exclusif à cette entreprise. Les jours suivants, des centaines de policiers ont érigé plus de quatre cents balises blanches délimitant un périmètre interdit dans la savane. « Nous avons été convoqués par le commissaire du district à Loliondo qui nous a dit : “Cette exclusion est un ordre présidentiel, vous devez obéir, on discutera des détails plus tard”, raconte Abel. Évidemment, on a protesté. Non seulement on voulait connaître les “détails”, mais aussi notre futur statut dans ce pays, savoir si on sera encore des citoyens à part entière. Le ton est monté et, le (...)