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Doing Business ou les non-sens d’un classement

November 4, 2014
Source
La Tribune

Par Amine Echikr 

De polémique en polémique, les auteurs du classement mondial tentent de justifier le bien-fondé de leur démarche. L’édition 2015 du rapport Doing Business n’y échappera pas. Mécontente de son rang, la Chine avait tapé du poing sur la table fin 2012 et exigé la suppression pure et simple d’un classement qui risquait, selon elle, de «ruiner la réputation» de la Banque. D’autres voix avaient simplement pointé d’importantes failles méthodologiques. 


«Doing Business a tous les ingrédients pour être à la fois important et controversé, ce qu’il n’a pas manqué d’être», admet le chef économiste de la Banque mondiale, Kaushik Basu, qui reconnaît lui-même avoir critiqué ce rapport quand il conseillait le gouvernement indien. Face à ces réserves, la Banque a modifié sa méthodologie en affinant l’étude de certains indicateurs et en approfondissant ses évaluations dans les pays de plus de 100 millions d’habitants. Malgré ces changements, le classement 2015 consacre à peu près le même quinté que dans l’édition précédente : Singapour, leader depuis l’édition 2007, reste en tête, suivi par la Nouvelle-Zélande, Hong Kong, le Danemark et la Corée du Sud. Seul changement notable, les Etats-Unis sont éjectés de ce «top 5» et pointent désormais à la 7e position. 

Le rapport passe au crible le cadre réglementaire s’appliquant aux petites et moyennes entreprises dans 189 économies, en évaluant notamment dans quelles conditions elles peuvent lancer leur activité, avoir accès à l’électricité, au crédit ou payer leurs impôts. En épluchant les réglementations locales et en agrégeant les résultats obtenus auprès de plus de 10 000 professionnels, la Banque mondiale parvient à un classement de l’attractivité des pays qui a fait couler beaucoup d’encre. 


Il serait bon de savoir quels sont, parmi les 10 000 professionnels, ceux qui émettent des avis sur l’attractivité de l’Algérie en matière d’investissement et de facilitation des affaires. 
La Chine malgré ses récriminations et son poids dans l’économie et le commerce mondial continue d’avoir des raisons d’être mécontente : elle reste dans le ventre mou du classement (90e) même si elle grappille 3 places et devance d’autres grands pays émergents, Brésil (120e) ou Inde (142e). Au regard du rapport, les BRICS font moins bien que des pays n’ayant aucun poids dans les échanges mondiaux.
«La controverse vient souvent du fait de voir dans ce rapport (...) davantage qu’il ne reflète», assure M. Basu dans son avant-propos, assurant que le Doing Business ne saurait être vu comme un signe de performance économique des pays. 


Le classement continue toutefois de susciter des interrogations. Malgré la grave crise géopolitique qui les oppose, la Russie et l’Ukraine améliorent leurs positions dans ce classement en pointant respectivement à la 62e (+2 places) et à la 96e position (+16 places). 

Le rapport ne «reflète pas les aspects liés à la sécurité, la prévalence des pots-de-vin et de la corruption (...) ou la stabilité macroéconomique» des pays, explique la Banque mondiale.
Certains résultats posent par ailleurs question. Haïti, un des pays les plus pauvres du globe, arrive en 94e position en terme d’accès des PME à l’électricité alors que le Canada, pays du G20, pointe au 150e rang. Sur l’indicateur mesurant la «protection des investisseurs minoritaires», la Suisse occupe le 78e rang alors que la Sierra Leone qui émerge de plusieurs années de guerre civile pointe au 62e rang. 
Le classement de 2014 affirme que le Burkina Faso et la RD Congo sont mieux classés que le Canada en matière de raccordement à l’électricité, tandis que Madagascar et le Nigeria se retrouvent loin devant la France en termes de protection des investisseurs (80e).


Des organisations de la société civile se sont, elles, mobilisées sur un autre terrain : selon une récente campagne menée par l’Oakland Institute, le Doing Business pousse les pays à «libéraliser» leur économie et à alléger leurs règlementations afin que les entreprises occidentales puissent s’y installer «sans entraves». 


Ce n’est pourtant pas la philosophie du rapport, selon le chef économiste de la BM. «Laisser tout à l’économie de marché peut conduire à d’importants dysfonctionnements et mener à des niveaux élevés de pauvreté», écrit M. Basu, appelant les gouvernements à se doter de réglementations «facilitant» les interactions sans freiner le secteur privé.


L’édition 2015 fait ressortir que l’Algérie a engagé au moins une réforme au même titre que Ghaza la martyre. La BM précise aussi que L’Algérie et la Jordanie «ont amélioré les infrastructures portuaires, réduisant ainsi les délais de traitement dans les ports terminaux». En outre, le rapport note que «l’Algérie a facilité le commerce transfrontalier en améliorant les infrastructures du port d’Alger». 
Malgré les incohérences et les inexactitudes ou la mauvaise volonté des rédacteurs du rapport, le ministre de l’Industrie et des Mines, Abdesselam Bouchouareb, a estimé que «nous sommes conscients que le classement Doing Business, même s’il n’est pas une fin en soi, nous aidera à améliorer notre climat des affaires dans les domaines couverts par les indicateurs». 


Le ministre a également estimé que cette action d’amélioration devra être plus large pour garantir toutes les conditions d’attractivité, comme la facilité d’accès aux crédits à des conditions avantageuses, l’amélioration de l’offre foncière, la réalisation des infrastructures de communication et la réalisation des zones industrielles. Il a, en outre, souligné que ce classement «n’en constitue pas moins un élément de l’appréciation de l’image de l’Algérie vis-à-vis des investisseurs qui ne connaissent pas suffisamment le pays». 


Une appréciation basée sur une vision négative faite par des «professionnels» que personne ne peut identifier. Le classement de la Banque mondiale ne reflète ni la réalité des économies ni les efforts fournis ni les sacrifices consentis. Il serait temps que les Etats, actionnaires de la BM, demandent un peu plus de crédibilité aux fonctionnaires de la Banque. Les classements inconséquents sont tout autant responsables de la non attractivité des économies que les politiques menées par les gouvernants. 


A. E./agences