
La nouvelle offensive du M23 et des forces rwandaises dans l'est de la République démocratique du Congo coïncide avec le premier anniversaire du protocole d'accord signé entre l'Union européenne et le Rwanda pour coopérer sur la fourniture de minerais critiques.
L’accord ignore totalement le rôle majeur du Rwanda dans le conflit qui fait rage dans l’est de la RDC depuis trente ans, soit directement par ses propres forces, soit en soutenant des groupes armés qui combattent en son nom. Ce conflit a causé la mort de millions de personnes, des déplacements massifs et d’immenses souffrances pour la population civile. Le président rwandais Paul Kagame justifie cette guerre par des préoccupations concernant pour la sécurité du groupe ethnique tutsi, cible du génocide de 1994. Mais c'est bien l'exploitation illicite par le Rwanda des minéraux très lucratifs de l'est du Congo, notamment l'or et les plus grandes réserves mondiales de cobalt (utilisé dans les batteries) et de coltan (utilisé dans les appareils technologiques modernes), qui sont derrière cette implication. Ce soutien du Rwanda au M23 lui a ainsi permis de prendre le contrôle d’une grande partie de l’est du Congo et de ses mines.
S’il est immoral pour l’UE de conclure un accord avec un tel pays, les termes mêmes de l’accord de février 2024 sont scandaleux car ils passent sous silence le rôle clé du Rwanda dans l’extraction minière illicite. Au cours de la dernière décennie, le Rwanda a exporté des quantités de coltan bien supérieures à celles produites par ses propres mines. Jusqu'à 90 % des exportations de coltan du Rwanda proviennent de la RDC, via un processus de blanchiment que l'ONG Global Witness qualifie d'immense « laverie automatique ». L’accord européen indique pourtant que le Rwanda « est un acteur majeur dans l’extraction du tantale dans le monde [et qu’] avec son climat d’investissement favorable et son état de droit, [il] peut devenir un pôle de création de valeur ajoutée dans le secteur minier. Une raffinerie d’or existe déjà, tandis qu’une raffinerie de tantale sera bientôt opérationnelle. »
L'UE – comme les États-Unis – a mis en place une législation censée empêcher l'utilisation de minerais de conflit provenant de la RDC, mais les termes plus que favorables du protocole d'accord pour décrire le Rwanda suggèrent un choix délibéré de ne pas appliquer les lois européennes malgré les forfaits largement documentés de ce pays.
Ayant perdu toute foi dans les régulateurs occidentaux, la RDC a déposé le mois dernier des plaintes pénales contre les filiales d'Apple en France et en Belgique, accusant l'entreprise d'utiliser des minerais de conflit dans sa chaîne d'approvisionnement. Pour les avocats de la RDC, Apple est responsable de « la dissimulation de crimes de guerre et du blanchiment de minéraux illégaux, du trafic de biens volés et de pratiques commerciales trompeuses pour garantir aux consommateurs que les chaînes d’approvisionnement sont propres ». Cette plainte témoigne de l’échec flagrant des systèmes de traçabilité tels que l’International Tin Supply Chain Initiative censée assurer la traçabilité en amont dans la Région des Grands Lacs. Malheureusement, au lieu de restreindre l’entrée de minerais de conflit dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, ce système est utilisé pour blanchir illégalement des minerais de conflit en provenance de la RDC ou pour les introduire en contrebande dans les pays voisins. Cela a permis à des minéraux extraits illégalement de se retrouver dans les produits de marques telles qu’Apple, Intel, Samsung, Nokia, Motorola et Tesla.
Depuis des années, les Nations Unies alertent sur l’aide du Rwanda au M23 et ont documenté l’implication directe de ses forces armées dans le conflit et la fourniture d’armes et de munitions aux rebelles. Les pays occidentaux continuent pourtant de soutenir ce pays. De 2001 à 2022, les États-Unis ont à eux seuls fourni plus de 3,9 milliards de dollars d’aide économique au Rwanda. Le Royaume-Uni a hésité à critiquer le Rwanda, et encore moins à interrompre son aide militaire, alors qu’il négociait un pacte d’expulsion des migrants avec ce pays. Alors que la France et l’UE ont publiquement dénoncé le Rwanda, aucun n’a interrompu son aide militaire et sa coopération. Lors d'une conférence de presse en mars 2023 avec le président Tshisekedi, lorsqu'on lui a demandé si la France poursuivrait des sanctions contre le Rwanda, la réponse du président Macron a été de blâmer le gouvernement congolais pour l'instabilité du pays.
Outre la violence, la guerre et l’exploitation des ressources minières de la RDC ont un impact désastreux sur l’économie du pays, drainant ses ressources financières et empêchant les revenus de l’extraction minière d’atteindre ses caisses. La pauvreté et la faim sont généralisées tandis que l’accès aux services de base tels que la santé et l’éducation est largement sous-financé. La situation des pays qui ne tirent pas profit économiquement de leurs ressources naturelles a été qualifiée de « malédiction des ressources ». Cependant, vu les forces qui alimentent et tirent profit de la situation, ce n’est pas une malédiction mais plutôt la cupidité et l’attitude cynique des gouvernements et des entreprises du secteur qui en sont responsables.
Le 25 janvier dernier, l’UE déclarait que « le Rwanda doit cesser de soutenir le M23 et se retirer », et qu’elle envisageait « tous les outils à sa disposition afin de demander des comptes aux personnes responsables du maintien du conflit armé, de l’instabilité, de la violence, et de l’insécurité en RDC. » Il est manifestement grand temps de sanctionner le Rwanda. Une première mesure simple pour la France et les autres pays européens serait de dénoncer un accord sur les minerais qui n’aurait jamais dû être signé. L’étape suivante devra être l’application de lois qu’ils ont jusqu’ici étrangement omis de mettre en œuvre.
